Invitée en tant qu’ancienne élève du Lycée National, je suis revenue,
près de trente ans après, sur ce lieu qui a représenté l’essentiel de
mes centres d’intérêt pendant plus de trois longues années. Longues
parce que riches, riches en apprentissage de la vie (à défaut de
savoir), riches en relations humaines, riches surtout en rêves…
Dès mon arrivée, je suis tout de suite frappée par l’effervescence du
lieu ; il y avait comme un air de kermesse : trop de bruit, trop de
poussière, trop de chaleur, trop de personnes, …
Nostalgique, j’ai commencé à rechercher mes repères : le foyer, la
cabane d’Ahmed le gardien, l’arbre des cancres, la Direction, le
domicile du Directeur, le réfectoire, l’internat, les terrains
(basket, foot, volley), …
Le foyer était encore debout, certes déserté, éteint ; l’arbre et la
cabane étaient toujours là, fidèles, à leur place ; la Direction
aussi, mais beaucoup moins imposante ; les blocs intacts sauf qu’en
lieu et place des hautes fenêtres en bois (par lesquelles je glissais
pour sécher un cours), il y avait des vasistas grillagés, un peu comme
en prison…
Mais la vue la plus pénible était celles du grand vide, blanc, plat,
rasé qui a remplacé les annexes : le dortoir, le réfectoire, les
cuisines, l’infirmerie, les terrains …
Et je me suis vue, là, il y a bien longtemps, à gambader derrière un
ballon que je rattrapais difficilement, ou à traîner entre les
bâtiments en rasant les murs pour échapper aux surveillants et surtout
pour échapper au regard perçant du surveillant général, Mr Koné !
Eh, oui il était impossible de traîner dans la cour pendant les cours,
comme le fait aujourd’hui cette cohorte d’élèves, éparpillés,
bruyants, indisciplinés, habillés comme s’ils sortaient d’une boum !
Je cherchais désespérément à repérer les profs ; impossible, dans une
telle confusion... Perdue dans mes souvenirs, je revoyais Mr Arnaud
sortir de son cours, avec sa cour de disciples, qui l’écoutent
religieusement, retardant sa marche vers sa jeep décapotable.
Je me suis vue en train de fantasmer (somme toute innocemment) sur mes
profs : après les cours de Mme Colombelle et Mme Karité, je rêvais
d’être plus tard en blouse blanche à manipuler des éprouvettes.
Pendant le cours de Mme Maillot, je me voyais grande, imposante,
érudite, maîtrisant la géopolitique du monde sur la scène d’un
amphithéâtre. Après le cours de Mme Sy, la prof d’anglais, je me
voyais mystérieuse princesse dans un conte de mille et une nuits ou
redoutable Mata Hari sillonnant le monde dans un nuage musqué !
A la vue de mes promotionnaires (avec des tifs quelques peu blanchis),
je retrouvais mon âme enjouée de fillette insouciante, déplorant
qu’ils fussent peu nombreux, je retrouvais mille et un souvenirs
oubliés !
Des souvenirs heureux (les sales tours, les blagues, les dragues, nos
lectures échangées, nos sorties au cinéma, au CCF, nos jeux au foyer)
et d’autres douloureux (les grèves de 79, les policiers, les
matraques, les gaz lacrymogènes).
Que tout ceci semble loin, et oh combien sont perdues toutes les «
choses » que tout cela représentait… comme tout a changé !
Le Professeur était craint, respecté ! Il en imposait par sa sérénité,
sa tranquillité, ne criait jamais, arrivait le premier en classe et
partait le dernier ! Connaissait tous ses élèves, leurs handicaps,
leurs capacités.
Rien à voir avec l’enseignant d’aujourd’hui, hirsute, énervé,
préoccupé, pressé, comme s’il avait le diable aux trousses. Il a perdu
toute sa dignité, à force de courir dans tous les sens à la recherche
de quelques sous, a perdu sa vocation en confondant l’intérêt général
et l’intérêt personnel : quel est l’enseignant ou l’inspecteur qui n’a
pas le statut de fonctionnaire de l’Etat, de prof ou directeur dans un
établissement public et dans un établissement privé, de répétiteur à
domicile ?
Quant est-ce qu’il trouvera le temps nécessaire pour préparer ses
cours, pour réviser les programmes, pour corriger les épreuves et
devoirs et pour le repos de son corps et de son esprit ?
Qu’est ce qu’un éducateur écartelé, relégué par la société au rand de
personnel domestique, peut transmettre, à nos enfants déjà peu motivés
par un cadre et un environnement désuet, exigüe, triste, sale, …à
part son stress ?
Et c’est triste, la tête remplie par toutes ces interrogations,
écrasée par l’ampleur de la déliquescence du plus grand symbole de
notre système éducatif, que je me suis sauvée de ce lieu qui désormais
fera partie de ma liste, déjà longue, d’actions prioritaires (mes
jours d’optimisme) ou celle, tout aussi longue, des arguments pour
l’immigration (mes jours sombres) !
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