Wednesday, December 5, 2012

Très belle initiative


écrit par Isselmou ould Amar le 25 Janvier 2009 

Il ya de cela quelques années, je travaillais comme ingénieur chez l'un des opérateurs de téléphonie mobile à Nouakchott. Nous avions cette année là un projet d'extension du réseau et cela nécessitait une étude préalable pour un choix optimisé de l'emplacement des antennes GSM à installer. A l'issue de l'étude, nous sommes sortis avec un ensemble de coordonnées géographiques qu'il fallait localiser d'abord puis voir les possibilités offertes pour une éventuelle installation.
Muni de ses coordonnées et à l'aide de mon GPS, j'avançais tranquillement dans les ruelles de Nouakchott pour localiser mon premier point, et qu'elle ne fut ma grande surprise quand j'entendis mon chauffeur dire «  hadhi lisseu khessrett » ! J'ai relevé ma tête et j'ai regardé autours de moi pour me rendre compte que j'étais au beau milieu de l'enceinte  du lycée National….
Beaucoup d'images se sont succédé dans ma tête et je me suis revu marchant le matin dans la grande allée, cachant ma cigarette pour ne pas avoir des problèmes avec le surveillant qui se tenait debout juste à côté de Monsieur Fall Directeur du Lycée. Il scannait tous les élèves d'un regard qui disait : je me ferai un plaisir de convoquer tes parents pour le moindre faux pas !
Trois belles années durant lesquelles on nous inculquait la discipline, le respect du personnel enseignant et surtout l'envie de réussir. …
Revenu à la réalité trois minutes plus tard, j'ai remarqué que les fenêtres était toutes à moitié cassées, le bâtiment délabré et la peinture en disait long sur le dernier entretien des locaux de notre lycée.
Les yeux baissés et très ému, j'annonçais à mon collègue Egyptien, qui faisait partie de la mission, que c'est effectivement le lycée National, dans lequel la crème des cadres du pays a étudié et que normalement il devrait faire notre fierté nationale et que certainement le Ministère a prévu de le réhabiliter.
Ces images sont restées gravées dans ma mémoire  sans pour autant prendre le temps de réfléchir ou même rêver d'une solution pour ce lycée.
Six ans plus tard, en découvrant sur CRIDEM votre initiative, je me suis rendu compte combien je suis faible et petit de n'avoir jamais eu cette idée.
Enfin, je vous félicite pour cette initiative et je suis entièrement preneur et même dedans comme on dit.

Amicalement


La Réhabilitation du Lycée National

 Post écrit le 13 Octobre 2009

Il y a un an je transmettais, au nom de l’association des Anciens
Elèves du Lycée National, un rapport au Ministre de l’Education sur la
situation du lycée contenant des propositions susceptibles d’insuffler
une énergie nouvelle à un établissement laissé à l’abandon.  Ce
rapport est resté jusqu'à présent sans réponse.
Dans ce rapport, j’ai proposé a l’administration de l’Education
Nationale de faire du Lycée National un établissement pilote ou des
élèves sélectionnés suivant des critères rigoureux de performances
académiques et d’aptitudes intellectuelles recevront un enseignement
sérieux suivant les normes et standards établis en matière de qualité
éducative. J’y ai aussi exprimé notre volonté au sein de l’association
des anciens élèves d’être part de ce projet et de travailler mains a
mains avec l’administration et les parents d’élèves pour offrir un
modèle vivant de la reforme de l’Education Nationale et un exemple
d’inspiration pour l’école publique.
Nous sommes aujourd’hui très enchantés par la déclaration du Ministre
en charge de l’Enseignement secondaire, M. Ahmed Ould Bahiya, a
l’occasion de la rentrée scolaire dans laquelle il a affirmé sa
volonté de créer des établissements pilotes de qualité dans toutes les
Wilayas du pays. C’est une initiative importante et un grand projet
pour l’école mauritanienne qui nous le souhaitons prendra forme le
plus rapidement possible.
L’Association des anciens élèves du Lycée National soutient cette
initiative et demande à ce que le premier Lycée de la capitale soit
placé sur la tête de liste des établissements visés par la présente
initiative. A cet effet, l’association renouvelle son engagement à
travailler avec l’administration et les parents d’élèves pour la
réussite de cette initiative sur le terrain.
La réhabilitation du Lycée National n’est que justice rendue a un
établissement qui fut pour longtemps un exemple de ce que doit être
l’école mauritanienne moderne, un foyer de savoir et d’apprentissage
pour les adolescents, et un lieu de rencontre et de symbiose entre les
jeunes de différentes  catégories socioculturelles de notre pays. Les
anciens élèves ont le devoir moral de participer à cette œuvre
d’intérêt public, une manière de dire merci et montrer sa gratitude à
cet instrument irremplaçable de promotion sociale qu’est l’école
publique.
L’association des anciens élèves a conçu un programme spécial sous
forme de cours supplémentaires en mathématiques, langues et dans les
matières scientifiques de base au profit des élèves ayant la volonté
et le potentiel de poursuivre des études universitaires scientifiques
et techniques. La mise en œuvre de ce programme a déjà commencée avec
l’objectif d’inscrire 80 élèves, fraichement arrivés des collèges, en
caressant l’espoir qu’après trois ans d’encadrement soutenu ils
puissent réussir le Baccalauréat avec des mentions honorables et se
faire accepter dans les grandes universités du monde dans les domaines
très recherchés des Sciences et des technologies.
L’école publique a été pour longtemps négligée.  Il est temps de se
ressaisir et faire de la production des têtes bien faites un objectif
prioritaire de la stratégie nationale de développement.

Réponse de Madame Christiane Carité a l'article de Meimouna

Ecrit par Madame Christiane Carité le 31 Mai 2010

Maïmouna,

Votre « pèlerinage aux sources » m’a beaucoup touchée tant sur le fond
que sur la forme :
-         c’est un témoignage empreint d’une émotion qu’il m’a plu de
ressentir avec vous ;
-         sa formulation littéraire parfois humoristique m’a tout à
fait ravie.
J’ai été très heureuse de constater que ma collègue et amie Madame
Coulombel, à qui j’ai transmis votre article, et moi-même ainsi que
d’autres coopérants français n’étions pas oubliés et je tiens à vous
en remercier. Mais si nous avons fait de notre mieux pour rendre
efficace notre enseignement afin que les élèves réussissent, nous
avons beaucoup appris durant notre séjour en Mauritanie de 1973 à 1989
au cours duquel nous avons partagé avec la population les joies mais
aussi les drames qui touchaient le pays. Notre mémoire  demeure très
attachée aux seize années passées en Mauritanie, des années de bonheur
où nous vîmes progresser nos élèves mais aussi nos propres enfants qui
furent bercés, leur âge tendre durant, dans le dos d’une nourrice
africaine puis bénéficièrent à nos côtés du meilleur accueil que l’on
puisse espérer dans les campements et les villages de l’intérieur du
pays. Comme nous, ils en conservent un souvenir ému.
Tout cela pour vous dire, chère Maïmouna, que votre évocation m’a
remémoré les plus belles pages de ma vie. Au lycée national, nous
n’avions certes pas les conditions matérielles des lycées français,
mais dans les classes hyperbondées, aphone, je parvenais à me faire
comprendre des élèves : on aurait pu entendre une mouche voler ! J’ai
eu la surprise de constater souvent la présence d’élèves clandestins …
Impossible d’organiser des travaux pratiques dignes de ce nom mais
cette absence de moyens était compensée par une concentration commune
intense, un échange fructueux avec, vous avez raison de le souligner,
un respect profond de l’enseignant. Ressentir ce respect fut
certainement pour moi un facteur puissant pour progresser dans mes
efforts et faire en sorte que mes cours s’adaptent au mieux à
l’environnement mauritanien : en sciences naturelles, c’est une
exigence incontournable. Ainsi en TD la dissection de l’encéphale de
chameau fut parfois possible, avec découverte de l’hypophyse ! Cette
longue expérience au lycée national puis à l’ENS fut pour moi riche
d’enseignement : les élèves deviennent parfois … nos professeurs.
Votre article en est d’ailleurs une parfaite confirmation.
Merci beaucoup Maïmouna de votre témoignage et permettez-moi de vous
en réclamer la suite : un livre, incha Allah.
Ainsi qu’à toute votre famille, je vous souhaite longue vie dans une
Mauritanie apaisée et prospère.
Bien cordialement.

Christiane Carité

L'article de Meimouna

Invitée en tant qu’ancienne élève du Lycée National, je suis revenue,
près de trente ans après, sur ce lieu qui a représenté l’essentiel de
mes centres d’intérêt pendant plus de trois longues années. Longues
parce que riches, riches en apprentissage de la vie (à défaut de
savoir), riches en relations humaines, riches surtout en rêves…
Dès  mon arrivée, je suis tout de suite frappée par l’effervescence du
lieu ; il y avait comme un air de kermesse : trop de bruit, trop de
poussière, trop de chaleur, trop de personnes, …
Nostalgique, j’ai commencé à rechercher mes repères : le foyer, la
cabane d’Ahmed le gardien, l’arbre des cancres, la Direction, le
domicile du Directeur, le réfectoire, l’internat, les terrains
(basket, foot, volley), …
Le foyer était encore debout, certes déserté, éteint ;  l’arbre et la
cabane étaient toujours là, fidèles, à leur place ;  la Direction
aussi, mais beaucoup moins imposante ; les blocs intacts sauf qu’en
lieu et place des hautes fenêtres en bois (par lesquelles je glissais
pour sécher un cours), il y avait des vasistas grillagés, un peu comme
en prison…
Mais la vue la plus pénible était celles du grand vide, blanc, plat,
rasé qui a remplacé les annexes : le dortoir, le réfectoire, les
cuisines, l’infirmerie, les terrains …
Et je me suis vue, là, il y a bien longtemps, à gambader derrière un
ballon que je rattrapais difficilement, ou à traîner entre les
bâtiments en rasant les murs pour échapper aux surveillants et surtout
pour échapper au regard perçant du surveillant général, Mr Koné !
Eh, oui il était impossible de traîner dans la cour pendant les cours,
comme le fait aujourd’hui cette cohorte d’élèves, éparpillés,
bruyants, indisciplinés, habillés comme s’ils sortaient d’une boum !
Je cherchais désespérément à repérer les profs ; impossible, dans une
telle confusion... Perdue dans mes souvenirs, je revoyais Mr Arnaud
sortir de son cours, avec sa cour de disciples, qui l’écoutent
religieusement, retardant sa marche vers sa jeep décapotable.
Je me suis vue en train de fantasmer (somme toute innocemment) sur mes
profs : après les cours de Mme Colombelle et Mme Karité, je rêvais
d’être plus tard en blouse blanche à manipuler des éprouvettes.
Pendant le cours de Mme Maillot, je me voyais grande, imposante,
érudite, maîtrisant la géopolitique du monde sur la scène d’un
amphithéâtre. Après le cours de Mme Sy, la prof d’anglais, je me
voyais mystérieuse princesse dans un conte de mille et une nuits ou
redoutable Mata Hari sillonnant le monde dans un nuage musqué !
A la vue de mes promotionnaires (avec des tifs quelques peu blanchis),
je retrouvais mon âme enjouée de fillette insouciante, déplorant
qu’ils fussent peu nombreux, je retrouvais mille et un souvenirs
oubliés !
Des souvenirs heureux (les sales tours, les blagues, les dragues, nos
lectures échangées, nos sorties au cinéma, au CCF, nos jeux au foyer)
et d’autres douloureux (les grèves de 79, les policiers, les
matraques, les gaz lacrymogènes).
Que tout ceci semble loin, et oh combien sont perdues toutes les «
choses » que tout cela représentait… comme tout a changé !
Le Professeur était craint, respecté ! Il en imposait par sa sérénité,
sa tranquillité, ne criait jamais, arrivait le premier en classe et
partait le dernier ! Connaissait tous ses élèves, leurs handicaps,
leurs capacités.
Rien à voir avec l’enseignant d’aujourd’hui, hirsute, énervé,
préoccupé, pressé, comme s’il avait le diable aux trousses. Il a perdu
toute sa dignité, à force de courir dans tous les sens à la recherche
de quelques sous, a perdu sa vocation en confondant l’intérêt général
et l’intérêt personnel : quel est l’enseignant ou l’inspecteur qui n’a
pas le statut de fonctionnaire de l’Etat, de prof ou directeur dans un
établissement public et dans un établissement privé, de répétiteur à
domicile ?
Quant est-ce qu’il trouvera le temps nécessaire pour préparer ses
cours, pour réviser les programmes, pour corriger les épreuves et
devoirs et pour le repos de son corps et de son esprit ?
Qu’est ce qu’un éducateur écartelé, relégué par la société au rand de
personnel domestique, peut transmettre, à nos enfants déjà peu motivés
par un cadre et un environnement désuet, exigüe,  triste, sale, …à
part son stress ?
Et c’est triste, la tête remplie par toutes ces interrogations,
écrasée par l’ampleur de la déliquescence du plus grand symbole de
notre système éducatif, que je me suis sauvée de ce lieu qui désormais
fera partie de ma liste, déjà longue, d’actions prioritaires (mes
jours d’optimisme) ou celle, tout aussi longue, des arguments pour
l’immigration (mes jours sombres) !